Mon psychodrame avec l'Alternative Sétoise

Textes rédigés les 10 et 11 mars 2020. Sur le pronostic du 1er tour des municipales, je me suis franchement planté.
Par contre la deuxième partie « Débrancher » (écrite le 11 mars) était assez prémonitoire du coronavirus, auquel nous ne songions pas encore…


Après partie 1 : Mon mariage avec les sciences sociales (allégorie)
Et partie 2 : Mon mariage avec les sciences sociales (réalité institutionnelle)
Partie 3 : Un psychodrame

 (Défouloir du mardi 10 mars)

Depuis mon arrivée il y a six ans, j’ai tout de même réussi à renouer les fils de cette histoire, à en retrouver le sens de l’intérieur-même de la société française, à mieux comprendre du coup mes interlocuteurs yéménites et l’épreuve qu’ils traversent actuellement. Depuis cette grande île singulière, le monde m’apparaît aujourd’hui bien plus petit, et plus cohérent…

Pour autant, on ne m’a pas laissé être utile. Malgré les drames réels qui ont frappé la France entre temps, la société locale s’est trouvée incapable de réparer l’injustice que m’avaient fait subir les institutions académiques. Une injustice parmi beaucoup d’autres que la société française est incapable de réparer. Et c’est ainsi qu’à l’automne 2018, je suis allé grossir les rangs des mécontents. Pour faire de l’entrisme, diront certains… C’est aux gilets jaunes qu’il reviendrait d’en juger. Pour ma part, je me suis parfaitement retrouvé dans ce mouvement. C’est plutôt lui qui est entré dans ma vie, qui a complètement transformé mon travail personnel (voir ici). Par ailleurs en tant que scribe, j’ai été heureux de prendre soin de sa parole. Je n’ai rien cherché à y ajouter, je n’ai rien cherché à en tirer dans les institutions. Les nombreux comptes-rendus verbatim que j’ai rédigé sont partis dans la nature, et sans doute entre temps ont-ils été moissonnés par les sociologues. Moi j’ai juste fait en sorte que les beaux parleurs soient redevables de leurs mots, j’ai juste oeuvré pour que ce mouvement reste fidèle à lui-même un peu plus longtemps. Et de fait, je crois que nous avons fait du bon travail jusqu’au printemps dernier, avec un certain nombre de camarades du Bassin de Thau.


Après quoi j’ai rejoint l’Alternative Sétoise. Et bien sûr, j’entendais lui poser une sorte de défi, pas à Véronique Calueba mais au mouvement lui-même : le défi de rester fidèle à ses ambitions. Le défi de se mettre au service de la population, avec l’humilité et la rigueur réflexive d’un ethnographe, pour devenir le réceptacle de ses aspirations. Au début du mois de septembre, j’ai été brutalement mis à l’écart par Véronique et sa garde rapprochée, qui ne voulaient pas de cette présence encombrante. Début octobre je suis revenu par la fenêtre (les gueux comme moi n’ont pas honte, n’ayant plus rien à perdre…). Mais ce coup d’éclat, pour moi, était surtout une manière de renouveler ce défi, par delà l’élection de Véronique comme tête de liste. Je voulais que les troupes fraîches de Sèt’ensemble ne se découragent pas, que la confrontation ait lieu et que ce mouvement vive… De fait, nous avons travaillé ensemble pendant de longs mois et ce mouvement a vécu quelque chose, réellement. Je ne suis pas sûr cependant qu’il survive aux élections municipales : ni en cas d’échec, ni même en cas de victoire, ce qui serait encore plus grave.

article du ML

On dira que je suis égocentrique, que je prétends incarner à moi seul la conscience de l’Alternative Sétoise… De fait, je doute de sa lucidité depuis quelques semaines, de sa capacité à se regarder elle-même de l’extérieur. Je vois un mouvement emporté par son enthousiasme interne, par la complaisance de l’entre-soi militant. Un mouvement que pourtant j’ai voulu accompagner, avec bienveillance et loyauté, plaçant ma foi en son intelligence collective, ce qui impliquait de mettre entre parenthèses mes propres diagnostiques. Malgré cette attitude constructive, dont pourront témoigner tous les militants sincères, j’ai été mis à l’écart délibérément, dans les coulisses de la quatrième votation. Au vu de ce que j’ai apporté à ce mouvement, de mon implication pleine et entière depuis la toute première réunion au mois de juin, cette exclusion aurait dû constituer un voyant rouge. Moi-même je l’ai vue arriver, et finalement j’ai laissé faire, faute de savoir renoncer à ma posture d’observateur. Puis j’ai fini par détourner le regard, gagné après coup par une sorte de dégoût. J’aurais pu tout accepter sauf ça : sauf qu’on me mette à l’écart en invoquant mon entrisme et ma radicalisation. Alors m’est apparu, dans toute son étendue, la vulgarité profonde de ces gens qui prétendent accéder aux responsabilités. Alors m’est apparu leur profond sectarisme, au sens anthropologique du terme : cette manière d’accueillir la fin du monde en célébrant la messe, dans l’entre-soi des convaincus. Alors m’est apparu le scandale de ce féminisme verbeux, à mille lieues de ce que pourrait représenter un féminisme en acte : apprendre à se battre en conscience dans l’arène du patriarcat. Un féminisme qui appelle à changer le monde depuis les genoux du Père Noël, et laisse le vieux bougre faire sa sale besogne, de la manière la plus fourbe et anti-démocratique qui soit.

Disons-le clairement. Le projet initial de l’Alternative Sétoise, tel qu’il s’énonçait aux mois de juillet-août, a été vidé de son sens par ces « votations citoyennes » : une mise en scène démocratique grossière, à travers laquelle une petite clique entendait garder la main sur la composition de la liste, via le jeu des étiquettes partisanes et la variable de la mobilisation. Faire en sorte que celle-ci ne compte en son sein, outre les compagnons de route habituels, que des bobos inoffensifs, dont la plume et l’idéalisme naïf seraient bien utiles dans l’écriture du programme. Cette manœuvre, dont l’auteur de ces lignes a été le complice malgré lui, a découragé chez les électeurs ordinaires l’intérêt qu’aurait naturellement suscité une proposition de gauche aux élections locales. Arque-boutée autour d’un soleil déclinant, d’une impossible transmission de leadership, cette petite clique s’est permis de prendre en otage l’Alternative Sétoise, de prendre en otage la gauche, et la démocratie plus largement. Elle a privé les Sétois de la campagne qu’ils pouvaient légitimement attendre, au terme de trois mandats de François Commeinhes et après le mouvement des Gilets Jaunes. Elle a laissé la droite s’installer dans une campagne de notables et de partis, construite à partir des appareils nationaux. Elle a laissé faire l’OPA de la droite bourgeoise locale sur le Front National, et du Front National sur la droite bourgeoise locale. [J'ajoute ce tract des militants RN, qui était distribué au Château Vert samedi 14…]. De sorte que la liste de Pacull ressemblait à un meeting du MEDEF - dixit un camarade Gilet Jaune qui y assistait à mes côtés, et qui pourtant lui accordera sans doute son vote, s’il se déplace pour aller voter. Car au regard d’une duplicité aussi malsaine, l’extrême-droite conserve au moins l’attrait du clientélisme le plus classique, le plus honnête, le plus rassurant.

L’Alternative Sétoise est déjà un échec de mon point de vue, avant même la sanction des urnes qui s’annonce cuisante. Le pire n’est pas dans cette débâcle en elle-même, le pire est dans la médiocrité générale de l’offre politique à cette élection locale, où l’Alternative Sétoise porte peut-être une responsabilité particulière. Et je ne sais dans quelle mesure je n’ai pas moi-même participé à cette catastrophe. Peut-être aurait-il mieux valu que Sèt’ensemble reste à distance, qu’ils se retirent fin septembre comme à l’origine ils en avaient l’intention, au lieu de rendre « gaga » le PCF local, dans cette étreinte incestueuse et complaisante. Qui sait si cette dynamique ne s’est pas finalement avérée plus excluante qu’autre chose, bien au-delà de mon cas personnel ? Qui sait si elle n’a pas empêché d’autres rapprochements et d’autres candidatures, autrement plus significatives pour le destin de Sète ? Cette dynamique « alternative » n’a-t-elle pas finalement soustrait au peuple Sétois, notamment à l’électorat populaire, un droit légitime d’arbitrage entre les différents partis qui sollicitent ordinairement ses suffrages ? Au terme de cette campagne, je doute. Je vois bien que les propositions n’ont pas été à la hauteur des enjeux. Et je doute notamment en tant que Français de confession musulmane, connaissant bien cette capacité qui est la nôtre en Europe, de participer à l’enchantement collectif sans forcément y croire vraiment nous-même. Peut-être aurait-il mieux valu que je m’abstienne totalement, non pas de toute participation citoyenne, mais de toute participation au jeu électoral. Quelque chose d’un drame historique est ici à l’oeuvre, que j’étudie depuis de très nombreuses années. Un drame dont je ne peux m’extraire moi-même, et dont pourtant je ne cesse d’espérer que nous puissions ensemble le regarder en face, pour concevoir depuis Sète un nouveau chemin.


(Mardi 10 mars au matin)


Débrancher (reprise du jeudi 11 mars)

[suite de l'allégorie]

Par derrière, j’ai posé mes mains sur ses yeux. Je l’ai conduite à travers un dédale de couloirs et d’escaliers. J’ai enlevé mes mains, elle a découvert la chambre. Et derrière par la fenêtre, les vallées du Hadramout…

paysage du hadramout

- Mais je dois plutôt décrire dans le monde réel, comment je me suis senti, il y a deux semaines quand j’ai eu débranché. Plus aucun mail du jour au lendemain - alors qu’il en arrivait au moins toutes les heures, de toutes les listes et sous-listes thématiques dont je suivais l’activité. Une sacrée usine à gaz tout de même, l’Alternative Sétoise ! Et voilà le démantèlement du monde, à portée d’un clic… Pourtant je restais lié aux autres, par un lien beaucoup plus fort en fait : un sentiment de rage, le besoin compulsif de les mettre à distance ; chaque muscle et tous les poils de ma peau, soudain mobilisés pour rétablir une barrière. J’ai senti que j’allais pouvoir m’occuper de moi, de mon corps. J’ai été heureux qu’il ne vienne jamais personne dans mon appartement : pour la première fois je n’attendais plus. « Cette fois j’ai divorcé pour de vrai ! », je me suis dit, et ça m’a donné l’idée de ce texte. Comme je prenais soin de mon corps avec des étirements, et que mes idées se mettaient progressivement en place, ce lien de rage s’est peu à peu transformé, en un lien de pudeur et de dignité : le rattachement à une conscience collective.

J’associe spontanément à un moment très précis de mon enquête : mon retour sur la Place du #Hawdh en août 2008, pour mon cinquième séjour. Depuis 2003 j’avais passé environ quinze mois là-bas, essentiellement sur cette place. Une période de ma vie où je m’en remettais entièrement à mon enquête, à ce lieu où des personnes menaient leur existence, des hommes yéménites, qui n’avaient rien demandé… Je passais là de longues périodes, j’étais sur le trottoir, je ne dérangeais personne. J’avais la tête pleine de considérations sociologiques, de paramètres et d’hypothèses sur l’histoire sociale locale, que je tentais d’ajuster dans l’interaction. Les Yéménites m’aimaient bien. Je crois qu’ils me prenaient un peu pour un fou, bien qu’ils n’avaient pas beaucoup d’Occidentaux pour comparer, ils me prenaient en tous cas pour quelqu’un de perdu. C’est sur cette place que l’année précédente, je m’étais converti l’islam, dans des circonstances tout de même très particulières. Puis j’avais passé une année en France, un converti OVNI, découvrant soudain l’ampleur de sa solitude. En 2008 le jour de mon retour, j’ai débarqué avec mes valises sur cette place, comme d’habitude, devant mes amis commerçants. Mais j’ai réalisé très vite que je ne pouvais pas rester là, je ne supportais plus ce lieu. Je les aimais beaucoup, et je n’avais rien contre personne, mais ce lieu me brûlait le visage. J’ai passé ma première soirée dans une chambre, à l’hôtel où je descendais d’habitude, et le lendemain j’ai loué un rez-de-chaussée de villa, un peu à l’écart dans un quartier plus chic. Ma famille arrivait deux semaines plus tard, pour me rendre visite au Yémen pour la première fois, et je ne voulais pas les exposer en ce lieu. J’étais un peu devenu yéménite quelque part… Le reste de ce séjour de #2008, j’ai travaillé sur ma thèse. Je ne venais au Hawdh que quelques heures par jour, essentiellement pour me rendre au chevet de Ziad qui venait de sortir de prison, tenter de comprendre cette soi-disant schizophrénie… Les amis commerçants ne me virent quasiment plus, et ce sont eux qui venaient rôder parfois dans mon secteur. Inutile de dire que cette année-là, ma compréhension de la société yéménite prit une tout autre dimension.

C’est l’ensemble de cette expérience qui a fait de moi un sociologue, quelqu’un qui sait percevoir le « social » - qui ne le confond ni avec les représentations intellectuelles du monde qu’il peut entretenir par ailleurs, ni avec ses propres projections affectives, en situation. Jeanne Favret-Saada l’explique très bien dans « Être affecté », un article méthodologique devenu la pierre angulaire de l’ethnographie française : c’est à la fois le fait d’être pris, de s’être dépris, et de se donner ensuite les moyens d’opérer une reprise. Toute recherche doit nécessairement passer par ces étapes, dans l’enquête ethnographique telle qu’elle se conçoit aujourd’hui - afin de prétendre connaître une petite parcelle, dans ce monde éclaté du XXIème siècle…

Et je pense qu’en politique il existe un enseignement analogue, que connaissent les vieux militants des partis. On ne peut pas gagner les élections du premier coup. On ne peut pas se réveiller un matin, et inventer le projet miracle qui suscitera l’adhésion générale. Il faut faire des campagnes, subir des déconvenues, et se relever. Il faut que le réel résiste. Il faut qu’un collectif se constitue, avec ses propres règles tacites, ses règles éprouvées, qui ne peuvent pas être « débattues démocratiquement ». La déduction seule est vouée à l’échec, et l’induction ne peut suffire, fut-elle sincère : c’est toujours par abduction que se rencontre le succès électoral. Il faut qu’un collectif plonge au plus profond de lui-même, et y trouve les ressources pour faire les bons choix. C’est ainsi qu’on prend le pouvoir en Occident, où s’est construit le système des partis. Cela est directement lié à l’influence des guerres de religions, à la manière dont les États européens ont reconstruit leur stabilité en entretenant une forme de chaos régulé - le fameux Léviathan de Thomas Hobbes… Depuis cinq siècles environ, la politique occidentale repose sur l’incitation à construire des mouvements sectaires, orientés vers la prise de pouvoir, et qui régénèrent périodiquement l’Église dominante. Ce sont des considérations anthropologiques qu’il vaut mieux avoir en tête, pour comprendre cette fameuse « crise des partis » que les médias nous rabâchent.

Dans cette aventure de l’Alternative Sétoise, je repense à certaines scènes où les certitudes partisanes refaisaient brièvement surface - bien que toujours refoulées officiellement : il s’agissait d’une liste « citoyenne »…

Je vois encore l’excitation électrique de Véronique, à l’AG du 29 août au Palace, pour laquelle le PCF avait mobilisé ses troupes. La première réunion de l’été où la Reine daigna paraître, et déclarer formellement sa candidature. Je me souviens de sa morgue lorsqu'elle ajouta, comme pour montrer ses muscles de militante : « Moi je ne suis pas du genre à faire campagne derrière un ordinateur… ». Et moi comme d’habitude au premier rang, qui notait tout… Tout l’été nous avions commencé à refaire le monde, et Véronique n’avait envoyé que ses lieutenants (O., G.…). En fait c’était douloureux pour elle, mais je n’étais pas capable de le comprendre à l’époque. Ce monde de la politique nous était totalement étranger - sauf pour R., qui par son travail avait évolué dans les milieux syndicaux, et de fait il fut l’un des artisans de cette rencontre… En fait nous leur faisions peur, notre génération de « jeunes » déjà quarantenaires - alors que nous ne demandions qu’à apprendre, que l’on veuille bien nous parler, réfléchir avec nous… Contrairement aux vieux militants du 51 (rue Pierre Sémart, plutôt venus d’EELV), nous ne nous sommes jamais formalisés des attitudes partisanes du PCF. Car au fond nous n’avons jamais connu que ça, ces institutions déjà verrouillées, avec aucune place à prendre, mais néanmoins avides de visiteurs « pour le plaisir des yeux », car doutant de plus en plus de leur raison d’être… Alors nous avons été les hôtes du PCF, et c’est nous finalement qui les avons apprivoisés.

Nous avons aussi adopté G., le jeune et fringuant directeur de campagne, imposé par Véronique au lendemain de son élection. Ancien combattant du collectif « Une marina pour qui pour quoi », censé représenter à lui seul la relève du Parti Communiste Sétois… Et le voilà donc dans la position du Papa, rythmant les réunions de coordination avec son excitation de cocker (exactement comme le papa dans les albums de Boule & Bill, coiffure comprise…). Il est épaulé par sa fidèle épouse L., jeune et brillante Maître de Conférence en « Démocratie » - mais pas sociologue pour un sou, en tous cas pas assez pour questionner l’efficacité réelle de ses « porteurs de paroles », ni pour voir où était le problème avec sa position de chercheuse, d’un point de vue éthique.

Véronique, G., L.. Voilà la « clique » à laquelle je faisais référence hier. Elle n’est pas bien méchante, plutôt pleine de bonne volonté. Elle a commis des bourdes phénoménales, avec le Midi Libre notamment. La directrice d’agence Mme Froelig les trouvait horripilants à souhait, et ça s’est senti dans la couverture du quotidien régional. Il n’empêche que sans cette clique, il n’y aurait simplement pas eu de campagne. Elle a été le moteur de l’Alternative Sétoise, le coeur battant, au sens le plus mécanique du terme : pousser dans un sens, puis dans l’autre, dans les veines puis dans les artères, avec la régularité d’un métronome. À l’évidence, ceux-là étaient portés par une foi d’un autre ordre : pas la foi d’une sincérité extravertie ou d’un absolu idéologique, une foi plutôt liée aux vertus de la régularité, de l’obéissance et de l’abnégation. Cela s’appelle la discipline de parti.

Et c’est à travers cette discipline que François, effectivement, gardait un certain pouvoir sur le cours des évènements. De fait lors des votations citoyennes, c’est essentiellement lui qui déplaçait les électeurs. On ne peut pas dire pour autant que « l’arrière-garde » conservait le pouvoir. Pour Véronique et G., cette discipline était simplement liée à la conscience de travailler dans une filiation, d’être les heureux dépositaires d’un legs. J’ai fait du porte-à-porte avec Véronique : malgré vingt ans de vie politique, elle avait conscience de marcher dans les pas de François Liberti, presque à chaque instant. Par rapport à nous, cette conscience les plaçait dans une toute autre temporalité. G. nous disait souvent, au mois d’août, que c’était sa première campagne : il partait du principe qu’il y en aurait beaucoup d’autres, et c’était pour lui comme une évidence. Pour nous autres, cette campagne était la première et aussi la dernière déjà : dans six ans nous ne savions pas où nous serions, ni où en serait le monde, donc c’était cette fois ou jamais. G. ne voyait pas à quel point cette certitude, pour quelqu’un de sa génération (né je pense vers 1990), le plaçait en décalage total avec la réalité française, et d’emblée comme un « fils de », un héritier casé quelque part, avant d’avoir pu connaître le monde. Mais encore une fois, il en fallait un comme G., une bête de somme. N. par exemple, bien qu’il fut le petit-fils de son grand-père, n’aurait jamais pu jouer ce rôle. Avant de se réaliser comme colleur d’affiches et de faire d’autres rencontres, il avait souvent l’air de se demander ce qu’il foutait là… Pourtant après quelques mois, la mayonnaise avait pris :

De ces doutes, de ces tensions internes et des cheminements qu’elles ont permis, il n’est jamais rien apparu dans la communication externe de l’Alternative Sétoise. Une communication lisse, souvent même consensuelle, voire bien-pensante. Et pour tout dire une communication insuffisante, tant nous étions occupés à cadrer l’énergie interne. La liste de discussion débordait, de déclarations existentielles et de « Moi je… », mais tout cela était filtré d’une main de fer, au point qu’à l’extérieur il ne paraissait quasiment rien. Début septembre, j’avais proposé ce logo - je peux bien le ressortir aujourd’hui… :

projet de logo

À mes yeux, l’image représentait parfaitement notre mouvement : l’espoir d’une nouvelle mixité sétoise, d’une vitalité démocratique renouvelée, née de l’alliance des contraires et du fair-play de la compétition sportive. Le logo a été jugé trop agressif, et conflictuel. Véronique avait terriblement peur que le bateau lui échappe. D'ailleurs c’était assez ingérable pour M., notre attaché de presse à l’époque, qui allait bientôt prendre ses distances. M. s’est concerté avec N., le graphiste, qui venait de débarquer. Finalement le logo a pris cette forme :

logo de l'alternative Sétoise

Dans ce logo, je me suis toujours identifié au cerf-volant. Ils ont lâché la ficelle dans la dernière ligne droite, sans se demander ce qu’il adviendrait de moi. J’ai tout de même reçu dans ma boite mail l’invitation au dernier meeting, avec toujours le même brin de folie du graphiste… De l’extérieur, j’ai du mal à croire que cet « Alter-meeting » puisse être en phase avec l’humeur des électeurs (voir la com’ de Pacull en comparaison…). Pour autant je connais leur sincérité. Ils y croient et c’est très bien, même si ça doit me rester étranger.

(Mercredi 11 mars au matin)

invitation dernier meeting

Retour accueil confinement

Le Royaume de Ziad recrute…