Objectivisme et passions.
Conditions pour une anthropologie musulmane

 

1er – 5 octobre 2018.

Ensemble d’intuitions rédigées en vue d’une rencontre en assise, avec une association musulmane niçoise, qui n’a finalement pas eu lieu.

Mise en ligne le 31 octobre 2018

 

Avant-propos communautaire

La définition d’une frontière communautaire dans le contexte français

Être un anthropologue musulman

Excuses préliminaires

Musulmans & sciences sociales académiques en France : un sombre tableau

La source du dilemme

Une affinité en théorie…

…Un pacte mafieux dans la pratique

Bateson et la destruction des idoles académiques

Les bébés-burgat

(Bilan et transition)

Remarque : Misérabilisme et populisme dans la parole communautaire musulmane

 

 

Présentation des textes et thème d’une éventuelle communication orale

04/10/2018

 

Ces derniers jours, depuis qu’Alexandre m’a fait la proposition d’organiser cette rencontre, je me suis mis à écrire sur ce que j’avais à dire spécifiquement à la communauté musulmane en France.

J’ai écrit essentiellement sur deux thèmes :

Voilà mon hypothèse de travail, depuis plusieurs années, quant aux problèmes de la communauté en France. Je précise que cette vision des choses est la transposition directe de ma réflexion depuis 2003 sur Taez, la capitale des diplômés yéménites, qui en 2011 ont voulu prendre en main leurs responsabilités et leur destin3. Mais en ce qui concerne la France, cette prise de conscience n’a pas eu lieu, et je ne vais pas y aider en restant dans mon coin à lancer des invectives : cette hypothèse nécessite un dialogue. Et avant toute chose, il faut discuter des conditions de ce dialogue, il y a une négociation à mener. Il faut une prise de conscience collective que ce changement de perspective est nécessaire, mais il faut aussi et surtout prendre conscience des obstacles structurels qui l’empêchent ordinairement. Ce dialogue a besoin d’un lieu, qui ne pourra arracher son autonomie qu’en s’enracinant dans des questions de dogme. Je voudrais bien être un imam charismatique, mais je suis bien trop cérébral, bien trop encombré dans ma foi. J’ai besoin de construire un tandem avec des imams francophones et indépendants.

 

Un fil directeur

Après avoir écrit ces pages adressées à la communauté, je me suis demandé s’il n’y aurait pas un fil directeur, une problématique transversale, que tous mes interlocuteurs musulmans puissent s’approprier. Car si c’est juste un normalien qui vient « passer un savon » aux diplômés, en présentant sa leçon de choses sur l’histoire des idées, ou sa recherche sur le Yémen à laquelle personne ne comprend rien, on ne va pas aller bien loin…

J’ai donc cherché un fil directeur, et j’ai découvert que c’était précisément le thème de ma recherche  doctorale dans ses toutes premières années (à partir de 2005), que j’ai un peu perdu de vue après ma conversion à l’islam (2007) et surtout après les bouleversements du Printemps Arabe. J’ai dit « Subhân Allah ! » : le fait de m’adresser à la communauté m’a permis de retomber sur mes pieds, et de retrouver le coeur de mes réflexions dans mon face-à-face avec la société yéménite - ce que je susurrais à ma manip… - avant que d’autres problématiques ne viennent s’immiscer. Ce thème, c’est la question des rapports entre passions et objectivisme.

Je ne vais pas reprendre ces pages - cela ne ferait qu’accroître la confusion - mais je laisse au lecteur le soin de découvrir ce fil directeur, en arrière-plan de tout ce que je raconte. Tour à tour en effet, je braque les projecteurs sur plusieurs situations :

  1. 1.Le cas d’un Français intellectuel athée s’aventurant dans une société à majorité musulmane, pour qui l’islam se présentera d’abord sous la forme d’une « passion ». 

  2. 2.Le cas des Français dits « de la deuxième ou troisième génération », qui sont des diplômés pour une grande partie d’entre eux - ils sont rompus à « l’objectivisme » - mais qui élaborent néanmoins collectivement ce qu’on pourrait appeler une « passion communautaire », une définition subjective de l’islam en contexte minoritaire (dans laquelle je peine à me situer pour ma part). 

  3. 3.Le cas d’une société à majorité musulmane en voie de modernisation avancée, comme l’était la société yéménite des années 2000, avant le basculement des Printemps Arabes. Pour cette jeunesse massivement scolarisée, le monde est structuré par deux épistémologies parallèles, deux principes de légitimité concurrents - « traditionnelle » et « rationnelle-légale », pour rependre la typologie de Max Weber. Mais ces deux registres coexistent à égalité, et offrent à la jeunesse des occasions innombrables de transcender ce clivage (la définition du charisme selon Max Weber). [J’ai pris le parti de ne pas évoquer le Yémen dans « mon avant-propos communautaire ». Voir plutôt dans l’autre texte, « la scène primitive de l’ethnographe »] 

  4. 4.Pour compléter le tableau, il faut évoquer le cas des diplômés de la génération précédente, celle des révolutions modernistes (souvent associées aux indépendances nationales, ailleurs qu’au Yémen), qui se vivaient comme des figures de proues, ou des « premiers de cordées », mais qui ont vu l’indépendance leur échapper, au fil du développement d’une « passion autoritariste ». 

Contrairement à leurs aînés, les jeunes yéménites de 2011 savent que l’objectivisme ne va pas transporter leur pays d’un monde à un autre, de la « tradition » à la « modernité »6. Ils savent que ces deux registres n’ont pas de réalité objective, ne représentent que des points de vue complémentaires sur le monde, dont la séparation n’est qu’une convention : une hypocrisie collective, adossée à la naïveté des représentations étrangères, mais qui profite surtout à un régime corrompu, qu’ils s’emploieront à faire tomber

 

Il y avait une forme d’audace et de courage intellectuel dans les Printemps Arabes, qui s’est enlisé dans la difficulté des transitions politiques, sous tutelle d’une Communauté Internationale peu disposée à changer ses grilles de lectures. Mais de toute façon, un basculement global est en cours, face auquel les musulmans occidentaux doivent avoir un temps d’avance. En gros, je pense qu’il est de notre responsabilité de prendre le relais sur le plan intellectuel, d’esquisser des perspectives et de faire vivre une interprétation plus « mature » de la collaboration aux institutions, dans le sillage de ces révolutions7. Et cela pourrait passer8 par un changement du statut de la langue française dans la réflexion théologique et dogmatique : le fameux « tandem » évoqué plus haut.

 

La problématique des rapports entre passion et objectivisme pourrait nous permettre inchallah de négocier cette aventure collective, de renouer le fil de ces différentes configurations qui composent les expériences musulmanes dans le monde contemporain. Car il s’y rejoue en fait la question centrale de la théologie médiévale, celle des rapports entre raison et révélation (al-‘aql wa al-naql). En fait, on a juste besoin de comprendre comment l’émergence et l’affirmation de l’Europe a modifié la donne : de le comprendre dans l’histoire - l’histoire des idées scientifiques, des grandes mutations institutionnelles et religieuses, que l’on peut rattacher à des grandes problématiques des théologies monothéistes… - mais on a besoin aussi de le comprendre dans le monde contemporain. L’anthropologie marche ainsi sur deux « jambes », qui sont l’anthropologie historique et celle des terrains contemporains, deux moments complémentaires de la réflexion. Ce que j’ai constaté, et que j’aimerais partager avec vous, c’est que le dogme musulman est un emplacement privilégié pour partir à la découverte de cette réalité anthropologique dans l’espace et dans le temps. L’affirmation d’une anthropologie musulmane, explicite et cohérente, passe par l’inventaire des perspectives anthropologiques existantes9. Elle passe donc par l’élaboration d’un outillage critique depuis un lieu communautaire, qui aura ainsi arraché son autonomie intellectuelle - selon un modèle comparable à celui esquissé par Pierre Bourdieu pour l’autonomie des sciences sociales10.

 

 

 

Avant-propos communautaire

Rédigé en vue d’une rencontre à Nice. Présentation générale des enjeux pour la communauté musulmane en France, sans aucun détail sur mes matériaux yéménites. Mais je m’aperçois que le dénominateur commun, est la question des rapports entre passion et objectivisme…

 

La glorification des miracles (i’jâz) et l’exhortation (maw’idha) sont les deux registres légitimes de la parole islamique, dans lesquels devrait s’inscrire toute parole communautaire. Je comprends cette attente tacite, bien que j’en constate les ravages par ailleurs sur le plan intellectuel. J’aimerais donc commencer par y souscrire, ou au moins jouer franc-jeu : dire d’emblée au lecteur musulman, et notamment au musulman diplômé, ce qui dans ce texte est de nature à déstabiliser sa foi - et de nature à la raffermir aussi, éventuellement, mais seulement dans un second temps.

Malheureusement, mon récit de conversion ne débouche pas sur un happy end. Il débouche sur la destruction d’un pays, le Yémen, auquel j’avais lié mon destin. Je serais le premier à vouloir qu’il en aille autrement, bien évidemment. Mais de toute façon, l’heure n’est pas à la congratulation et à l’auto-complaisance pour les intellectuels, qu’ils soient musulmans ou pas. Quinze années de combat intellectuel, quinze années à me battre contre des moulins. Pour ceux qui voudront bien se plonger dans la lecture de ce récit, il y aura nécessairement une part d’épreuve. Pour moi le premier, c’est un récit difficile à porter dans sa totalité. Pourtant chaque page m’a nourri. Depuis plusieurs années l’écriture me fait vivre presque en autarcie. Car en dépit du constat d’échec, cette histoire débouche je pense sur une part de lumière : la constatation de notre part dans l’ordre du monde, et de notre responsabilité. Dieu n’a pas créé l’homme victime, mais vicaire :

« À ceux d’entre vous qui croient et font œuvres pies, Dieu a promis de faire d’eux des vicaires sur Terre, comme Il l’avait fait de ceux qui les ont précédés, d’affermir le culte qu’il Lui a plu de leur faire professer et de transformer leur crainte en sécurité. Qu’ils M’adorent donc sans rien M’associer, et ceux qui, après cela, renieront leur foi seront de véritables scélérats ! » (Sourate de la Lumière 24:55, trad. de Med Chiadmi)

Et aussi :

« Nous avons fait de vous une communauté du juste milieu afin que vous soyez témoins parmi les hommes et que le Prophète vous soit témoin. » (Sourate de la Vache 2:143)

(…) Dans mon travail en anthropologie, je n’ai fait que revisiter un seul terrain, remuer les cendres tièdes de ma première enquête, en me demandant si les choses auraient pu se passer autrement. Ce qui fit l’attrait de la problématique homosexuelle, vers la fin de ma première année de thèse (2006), c’est qu’elle me permettait de poser cette question. Après mon DEA (2004-2005), où j’avais réfléchi de manière générale sur les liens entre l’histoire sociale et l’ordre interactionnel, j’abordais cette fois la société sous l’angle du genre, en étudiant les boutades et les sous-entendus sexuels. Mais au fond, j’essayais de saisir comment moi-même, j’avais basculé dans les passions, en lien avec ma capitulation à une forme d’objectivisme. Bon nombre de Yéménites, témoins de mon cheminement depuis le départ, le comprenaient pertinemment… Un an plus tard (septembre 2007), j’avais compris que cette posture était intenable, et j’étais devenu musulman. Paradoxalement, la conversion à l’islam s’offrit à moi comme un ultime sacrilège, qui était aussi constat de rupture avec la société avec la société yéménite.

Voilà ainsi retracé, à pas de course, le cheminement qui m’a mené jusqu’à la conversion. Au fond, je me suis converti à l’islam pour garder le cap que je m’étais fixé, celui de l’anthropologie symétrique. L’essentiel était que jamais les Yéménites ne se retrouvent en position d’objet, de manière univoque. C’est ce qui a permis, vers l’année 2008, une réconciliation générale avec le quartier, l’établissement d’une tendre connivence quant à mes mésaventures passées. Mais il n’y a pas de happy end, non. Car cette connivence n’a jamais pu franchir les barrières de l’Académie. Je n’ai jamais pu avoir voix au chapitre parmi les spécialistes du pays, et mes partenaires yéménites dans cette aventure n’ont jamais récupéré leur mise. Malgré les bouleversements politiques, l’ordre épistémologique définissant les « réalités yéménites » a continué de régner en maître, et a mené le pays vers le chaos.

Or de mon point de vue avec le recul, ce qui a fait défaut est une « convergence des luttes » intra-musulmane, entre musulmans des contextes minoritaires et majoritaires. Dans cette bataille que j’ai menée en France jusqu’en 2013, jusqu’à l’épuisement, les musulmans diplômés n’ont jamais été un soutien. Ils n’ont jamais voulu saisir les enjeux de cette histoire, pour leurs propres luttes, et le rapport qu’il y avait avec « leur » foi.

Ces dernières années, donc, j’ai fini par comprendre et par théoriser ce qui différencie ma compréhension de l’islam de celle des musulmans diplômés. J’ai débouché sur une critique systématique de ce qu’on pourrait appeler la culture intellectuelle musulmane en contexte occidental minoritaire : une critique systématique des interprétations dominantes - dans le domaine historique, ou des « découvertes scientifiques » en tout genre et leur articulation avec l’islam - qui ont en commun l’ignorance de la « structure qui relie » (Bateson).

La définition d’une frontière communautaire dans le contexte français

Je sais qu’il existe une attente que toute parole communautaire s’inscrive dans ces deux registres légitimes de la parole islamique : la glorification des miracles (i’jâz) et l’exhortation (maw’idha). En contexte minoritaire, les musulmans ont placé une sorte de sacralité dans ces deux registres, qui « font » le discours communautaire : une forme, qui masque souvent la vacuité du propos sur le fond.

Je sais aussi qu’il existe une défiance plus souterraine - et au fond plus légitime - envers tout type de discours s’autorisant d’un exercice du logos : de la spéculation intellectuelle « gratuite » (entre guillemets) et de sa légitimité soi-disant « naturelle », alors que cette emprise sur le monde du discours logique s’adosse en réalité à des institutions, que ces institutions ont une histoire, qui a partie liée avec l’oppression.

Dans le contexte français, cette défiance envers le logos déstabilise passablement les musulmans diplômés. Elle les déstabilise parce qu’ils en reconnaissent la pertinence, bien que leur formation intellectuelle la leur ai rendue étrangère, presque inconcevable. Souscrivant dorénavant à la glorification des Lumières nationales, dont ils perçoivent parfaitement la dimension communautaire, les musulmans diplômés ne savent pas revenir en arrière. Confrontés alors à la défiance de leur base, ils y répondent en « refaisant » du discours communautaire, avec des miracles et de l’exhortation. Ça ne tient pas vraiment debout, d’un point de vue externe, mais ça passe pour légitime en interne, car on a donné des gages à cette défiance, tacitement, on l’a traité avec diplomatie. Ces arbitrages secrets fondent une sorte de « nous », définissent un point de vue « musulman » sur l’expérience et sur le monde.

Pendant ce temps, les élites françaises affirment et réaffirment qu’il ne saurait y avoir que deux camps : d’un côté les communautaristes, de l’autre les défenseurs de la raison éclairée. En réalité, la défiance envers le logos est largement partagée, et son rôle dans la définition d’une frontière communautaire est bien plus subtil qu’on ne le dit. Mais cette articulation reste difficile à appréhender de l’extérieur, depuis le centre… D’où les éternelles accusations de double discours qui saturent l’espace médiatique, dès qu’un intellectuel musulman prétend devenir une « personnalité ». Les éditorialistes aboient avec la meute, et oublient que la défiance envers le logos n’est pas non plus l’apanage de l’islam : tous les nationalismes européens, au XIXème siècle, se sont définis dans un rapport ambivalent à ce rationalisme centralisateur bien français. Inconsciemment donc, on refuse que l’islam soit un nationalisme européen…

Être un anthropologue musulman

Quoi qu’il en soit, pour toutes ces raisons, il est difficile d’être un anthropologue musulman. À moins d’être né musulman, et de devenir anthropologue en laissant l’islam derrière soi, quitte à continuer de se laisser appeler de l’extérieur « anthropologue musulman » : ça ce n’est pas très difficile. Beaucoup plus dur est le cheminement inverse, pour un anthropologue de devenir musulman. Il est difficile d’aborder le cadre musulman communautaire avec un argument intellectuel un peu approfondi, puisque les règles sont le plus souvent implicites, reposent sur des arbitrages précaires, la préservation consensuelle de ce qui est censé « aller de soi ». Il est difficile d’introduire dans la communauté une vision du monde radicalement nouvelle, ou simplement différente. Pourtant l’islam a été cela dans l’histoire - le lieu de rencontre de visions du monde radicalement opposées - et c’est ce qu’il devrait continuer d’être aujourd’hui. Mais l’approche anthropologique d’une population musulmane, pour être admissible, doit émaner d’un non-musulman. Comme si l’anthropologie « intra-islamique » devait rester en berne.

Je connais les Yéménites, et je les connais intimement, puisqu’ils ont été la cause de ma conversion à l’islam. Mais je ne devrais pas parler d’eux, car ce serait admettre que je ne suis pas Yéménite. Or je suis Français, c’est un fait : ma vision du monde reste liée à cette origine et à cette trajectoire. Prétendre néanmoins poser un regard intime, non pas sur l’islam, mais sur les Yéménites - et ce au nom de l’islam… Voilà qui est souvent perçu comme une trahison, par des musulmans qui n’ont rien de Yéménites - qui sont plutôt originaires d’Afrique du Nord en général - mais qui refusent simplement d’entendre ce que j’ai à dire. Et ce alors même que le peuple Yéménite traverse depuis quelques années une épreuve qu’aucune société d’Afrique du Nord n’a traversé dans l’histoire récente. Les maghrébins ne veulent pas entendre : ils le prennent personnellement, pensant savoir à l’avance ce que j’ai à dire.

Par cela, ces musulmans s’interdisent de réfléchir vraiment à la manière dont ils sont concernés par ce qui se passe aujourd’hui au Yémen, à la manière dont cette situation les engage. Du coup on en reste à des jugements très généraux, lancés à l’emporte-pièce : soit c’est de la faute des chiites, soit du complot Américano-sioniste qui a la main sur l’Arabie Saoudite, soit c’est la faute de « nous-les-musulmans-parce-qu’on-est-arriérés-et-on-le-restera-toujours »… De sorte qu’il n’y a en fait aucun intérêt réel pour l’autre, pour l’expérience d’hommes et de femmes qui sont certes des Arabes, mais qui vivent dans un autre paysage, face à la corne de l’Afrique et à l’Océan indien.

Et en réalité, même à propos de choses qui se passent ici au coin de la rue, on observe souvent le même comportement, cette fuite intellectuelle chronique. Aujourd’hui en France, il se passe des choses sur lesquelles les musulmans refusent de poser le regard, alors que les protagonistes principaux sont des Français de confession musulmane (et parfois aussi, comme ça a été le cas à Nice, des étrangers résidents en France et originaires de pays musulmans). Des affaires face auxquelles l’immense majorité des musulmans reste sans voix, dans une sorte de paralysie intellectuelle et discursive, et où finalement la seule parole concevable relève d’une sorte de délire (comme par exemple ces amis qui m’expliquaient que la Préfecture avait sciemment laissé passé le camion, au lendemain de l’attentat du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais de Nice - sur le mode « Tu trouves pas ça bizarre, toi… »).

En fait, les musulmans sont extrêmement démunis intellectuellement pour comprendre le monde, et cette situation a fortement à voir avec les sciences sociales. Cela a fortement à voir avec le fait que les musulmans acceptent que le réel soit énoncé par d’autres (j’y reviendrai).

Tout se passe comme si moi, le converti français, j’étais une sorte de trou noir, sur lequel la lumière ne peut pas rebondir et qui ne peut rien éclairer. C’est l’expérience que je fais, l’expérience avec laquelle j’ai appris à vivre ces dernières années. Telle semble être la condition d’anthropologue musulman.

Excuses préliminaires

Alors, exhortation ou glorification ? Ce texte n’est ni l’une, ni l’autre, ou ne l’est pas encore. À ce stade, c’est encore une construction intellectuelle égocentrée - si ce n’est égocentrique - censée rendre compte de ma trajectoire en la réinscrivant dans l’ordre du monde : ce qu’on appelle un récit ethnographique. Je veux m’en excuser, car je sais que le récit ethnographique n’est pas un registre musulman. Plus encore, c’est un registre que les musulmans subissent, auquel ils sont allergiques. J’ai beau être musulman depuis onze ans maintenant, je sais que mon ambition intellectuelle et mon impudeur ne passent pas. Ce n’est pas le musulman qu’on entend en moi, mais toujours l’anthropologue, ressassant encore le récit auto-complaisant de ses aventures, dans un territoire qui ne lui avait rien demandé. Admettons-le donc : ce texte n’est encore qu’un témoignage, une tentative désespérée venant après beaucoup d’autres, pour expliquer ce qui m’est arrivé, et plus largement ce qui nous arrive. Glorification et exhortation en sortiront peut-être, en leur temps, mais il faudra d’abord que l’une de ces tentatives enfin soit reçue. On ne décrète pas son appartenance à une communauté, quelle qu’elle soit.

Voilà donc un texte de sciences sociales adressé à la communauté musulmane, dans l’espoir qu’elle s’en saisisse ; un texte qui n’attend plus rien de la communauté scientifique (des sciences sociales) mais qui persiste à en respecter les codes. Démarche paradoxale, s’il en est. Mais je le sais aujourd’hui : les sciences sociales ne donneront crédit à mon travail que le jour où des musulmans s’en saisiront. Et aucun musulman ne s’en saisira, s’il n’a saisi d’abord ce paradoxe. Plus que ce texte ce jour-là, il saisira son pouvoir, et sa responsabilité.

Musulmans & sciences sociales académiques en France : un sombre tableau

Si je dresse ce sombre tableau, ce n’est pas pour le plaisir de casser du sucre, sur des personnes qui ont réussi à trouver leur place dans les institutions, et qui sont souvent très méritants. Mais je veux néanmoins montrer le caractère structurel des dysfonctionnements. Je voudrais en effet casser une idée répandue chez les musulmans diplômés, qui consiste à dire « ça ira mieux quand nous serons plus nombreux », « ça ira mieux quand nous serons plus instruits… ». Il y a une part de vérité, évidemment… Mais ce type de discours occulte la responsabilité propre des diplômés dans la crise actuelle.

La source du dilemme

Un dilemme authentique, justifié et inévitable, que l’on peut résumer en ces termes :

Une affinité en théorie…

Mais en réalité, les sciences sociales, c’est leur truc !


Un pacte mafieux dans la pratique

Or ce qu’on observe, c’est plutôt une sorte d’entente tacite, un pacte de non-agression, pacte mafieux, qui prend plusieurs formes :

Car le système aime qu’on lui arrache les poils du nez, dans une certaine mesure, mais cette contribution-là, on n’en veut pas.

Bateson et la destruction des idoles académiques

Or par ailleurs, dans le monde académique occidental, il existe de grandes figures de la destruction des idoles, telles que l’anthropologue Gregory Bateson (1904-1980), comme dans ce court extrait de conférence (à visionner ici) :

C'est plus qu'à la mode! C'est inculqué par nos Grandes Universités, qui pensent qu'il existe une chose que l'on appelle « la psychologie », qui est différente de « la sociologie », et une chose qu'on appelle « l'anthropologie » qui est différente des deux autres, et une chose qu'on appelle « l'esthétique » ou « critique d'art » qui est différente des deux, ou trois, ou quatre autres, peu importe… Et que le monde est fait d'éléments séparables de connaissance, dans lesquels on pourrait vous faire passer un examen si vous étiez étudiants, à travers une série de question déconnectées, qu'on appelle « vrai ou faux », des « quiz », des « bits de quiz », si l'on peut dire… Et le premier point que je veux vous faire passer, c'est que le monde n'est absolument pas comme ça. Ou encore - soyons plus polis… - le monde dans lequel je vis n'est absolument pas comme ça. Et en ce qui vous concerne, à vous de vivre dans le monde où vous voulez vivre…

Quand on entend ça, on voit bien que les musulmans devraient être les premiers.

Que les musulmans ne s’emparent pas de ces figures comme Gregory Bateson, c’est suicidaire…

Les bébés-burgat

[Voir aussi mon texte Le "ça" de François Burgat, qui motive la mise en ligne de ces pages]

Si je vous donne des noms comme Nabil Ennasri, Romain Caillet, Rachid Benzine, et je vous pose la question : qu’ont-ils en commun ? Vous allez me dire : rien du tout ! L’un est une figure importante de l’UOIF, l’autre est le salafiste de service au sein des études sur le Moyen-Orient, et le troisième est plutôt un vulgarisateur des penseurs réformistes, donc d’un islam « philosophique ». Donc il y a peu de chance qu’on les mette dans la même case… Pourtant, ils sont tous issus du même moule. Ils ont tous en commun d’être passés par l’IEP d’Aix-en-Provence (*).

Or en tant qu’observateur de la « scène musulmane française » depuis une dizaine d’années, je ne cesse de m’étonner du nombre de « bébés Burgat » (je pense surtout à Nabil Ennasri, qui semble avoir emprunté les tiques de langage de son parrain…), omniprésents sur la scène médiatique comme dans les rouages du ministère de l’intérieur, dans des genres très différents.

Donc que s’est-il joué dans leur passage par l’IEP, puisqu’ils ont si peu en commun, si ce n’est une forme de cooptation ? Une cooptation héritière de l’affinité particulière de François Burgat avec les islamistes, dans le sillage d’un ouvrage emblématique, L’islamisme en face, qui paradoxalement faisait entendre leur voix. Mais qu’ont appris là-bas ces étudiants, si ce n’est l’art de ne pas poser certaines questions ? L’art de « faire de l’épistémologie » - parce que ça fait toujours très chic d’utiliser ce terme - mais sans jamais sortir des clous. Et idem pour la « réflexivité », idem pour le « comparatisme », pour « l’interdisciplinarité », idem pour tous ces outils des sciences sociales généralistes dont la potentialité critique est maximale, mais dont les étudiants musulmans sont priés de faire un usage cosmétique, comme de jolies boucles d’oreilles dont ils parent leurs analyses - pour ne pas se démarquer de l’immense majorité des universitaires. Évidemment qu’à l’IEP d’Aix-en-Provence, on n’apprend pas un humanisme général, ni l’épistémologie, ni la potentialité critique maximale des sciences sociales généralistes et comparatives.

Dans tous les cas que j’ai cité, ces musulmans se laissent faire, du fait d’un ordre qui s’impose à eux, et aussi parce qu’il y a une ambivalence à l’égard des sciences sociales. Les musulmans n’y croient pas assez pour se battre, et ils se transforment en petits bureaucrates des réalités musulmanes, qu’ils contribuent à enregistrer.

 

(*) Pour être tout à fait honnête, c’est un lieu que je connais bien, parce que j’étais inscrit en thèse à Aix-en-Provence, de 2005 jusqu’en 2012. Pour des raisons institutionnelles (liées à l’attribution d’une charge d’enseignement comme moniteur), je me suis retrouvé inscrit dans un petit laboratoire d’ethnologie (l’IDEMEC, Institut D’Ethnologie Méditerranéenne et Comparative), que ma recherche n’intéressait pas. Non pas à cause de l’islam, mais à cause de leur conception assez fermée de la discipline : c’étaient des gens qui se définissaient avant tout comme ethnologues, pas comme chercheurs en sciences sociales, et donc ils n’étaient pas franchement partisans de la destruction des idoles disciplinaires… Ils n’attendaient de moi qu’une chose : que je remonte à Paris. Certes, je jouissais d’un rattachement secondaire au laboratoire « historique » de l’Ecole Normale Supérieure (CMH-ETT), un laboratoire de sciences sociales généralistes, mais l’on parlait très peu de l’islam… Mon histoire les dépassait, donc on ne voulait pas plus de moi… Bref, je me suis épuisé dans des allers-retours entre ces deux laboratoires, alors que juste à côté de l’IDEMEC, il y avait toute cette galaxie de l’IEP et de l’IREMAM, dans la Maison Mediterranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence. J’ai eu des échanges approfondis avec certains chercheurs (surtout Stéphanie Latte Abdallah, François Burgat lui-même) et je n’en veux à personne en particulier, mais c’est un fait qu’au final, ils m’ont laissé me noyer sous leurs yeux… Bien que l’interdisciplinarité fut à la mode, et mes matériaux yéménites tout à fait tangibles, ma démarche perturbait trop l’ordre des cooptations établies, discipline par discipline.

(Bilan et transition)

L’ambivalence des musulmans à l’égard des sciences sociales s’inscrit dans une ambivalence plus générale à l’égard du logos, relèvant d’une problématique intemporelle et universelle de l’épistémologie. Cette ambivalence à l’égard du logos a longtemps été assumée en interne par la civilisation islamique médiévale, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Chaque musulman diplômé est isolé face aux velléités positivistes de sa discipline, dans toutes les disciplines modernes, dont le nom s’énonce en -logie : sociologie et anthropologie, mais aussi psychologie, biologie, etc.… L’élaboration d’une contre-culture ne sera possible que si elle progresse de manière transversale, dans tous ces domaines à la fois. C’est pourquoi cette pensée critique doit se construire au carrefour de l’épistémologie, de l’histoire des idées et de l’anthropologie fondamentale. Ce n’est qu’à ce prix que les musulmans pourront se réapproprier réellement le trésor médiéval.

Non seulement les communautés musulmanes ne sont pas les lieux d’une critique monothéiste des savoirs et de destruction des idoles académiques ; mais en outre, à l’intérieur des communautés académiques traitant de l’islam et des sociétés musulmanes, les musulmans sont systématiquement choisis et cooptés pour leur passivité dans ce domaine (largement à leur insu, par naïveté, et manque de culture scientifique).

Paradoxalement, nous vivons une époque de déconstruction généralisée de tous les savoirs positifs - à travers des choses comme l’ethnographie, l’interactionnisme, l’historicisation, la critique discursive - mais seules les réalités musulmanes échappent à ce mouvement. Et ceci, non pas à cause des méchants universitaires « blancs » - évidemment pas non plus à cause d’un manque de moyen - mais à cause de la complicité tacite de ceux que j’appelle les « informateurs », ces musulmans diplômés dépourvus d’une culture scientifique et islamique générale et cohérente.

Transition

Comment faire en sorte que l’ambivalence à l’égard du logos, à nouveau, soit assumée en interne par la communauté musulmane ? C’est tout l’enjeu de l’histoire que je vais vous raconter, qui peut servir de point de départ, poser les questions nécessaires pour évoluer ensuite vers une sorte de forum. Car cette histoire jusqu’à aujourd’hui n’est pas close : elle engage des personnes réelles, des personnes vivantes et qui traversent des situations extrêmes, mais avec lesquelles je reste en interaction permanente. C’est pourquoi je pense que mon témoignage peut s’inscrire à terme dans ces registres légitimes qui « font » la communauté musulmane, la glorification et l’exhortation. À condition que les musulmans diplômés de France, avec lesquels je partage cette langue dans laquelle je m’exprime, consentent à porter leurs regards sur la crise, et trouvent finalement de quoi renouveler leur foi.

 

 

Remarque : Misérabilisme et populisme dans la parole communautaire musulmane

Dans un ouvrage classique de la sociologie bourdieusienne publié en 198911, Claude Grignon et Jean-Claude Passeron décrivaient la sociologie comme une discipline vouée à naviguer entre deux écueils, le populisme et le misérabilisme.

Ces deux écueils incompatibles, la parole communautaire musulmane réussit quotidiennement le prodige de les réconcilier, et de s’y vautrer sans complexe. Affirmer systématiquement la supériorité de l’islam relève d’une sorte de « populisme » musulman, et ce n’est pas un problème en soi. Mais cette posture intellectuelle n’est pas compatible, dans la logique des sciences sociales, avec une lecture complotiste du monde - qui n’est que la réappropriation musulmane du « misérabilisme ». Dans un monde dominé par la rhétorique et les concepts des sciences sociales, que les musulmans consomment sans y contribuer, ces derniers ont tendance à s’approprier trop facilement les deux pôles argumentatifs. À partir de ce qu’ils considèrent comme des « données » du réel, les musulmans fabriquent leur vision du monde, selon des logiques qui leurs sont propres, qui restent implicites et qui ne sont jamais confrontées aux prémisses épistémologiques des institutions qui produisent ce « réel ».

(Dans mon enquête à l’inverse, j’ai cherché à pointer de manière systématique les discordances avec le réel induites par le point de vue sociologique. Si les musulmans diplômés sont allergiques à cette démarche, c’est peut-être qu’elle rend explicite des choses qui restent ordinairement implicites).

Quel est le rapport entre ces deux observations ? Entre le constat de Grignon et Passeron, quant aux  tensions discursives qui caractérisent les sciences sociales, et les modalités contemporaines de la parole communautaire musulmane ? Telle est la question que nous devons poser aujourd’hui à nouveaux frais.

Je pense que cette tension entre populisme et misérabilisme, inhérente à l’exercice sociologique, puise en réalité dans un fond théologique judéo-chrétien : elle est par excellence la tension judéo-chrétienne, et c’est précisément dans le dépassement de cette tension que résidait la nouveauté de l’islam. Mais aujourd’hui, paradoxalement, cette capacité propre à l’islam est la cause de son malheur. Dans une époque où les sciences sociales détiennent un monopole sur l’énonciation du monde, où leur rhétorique et leurs concepts infusent la « réalité », les musulmans sont assignés à une position d’objet presque mécaniquement, sans intention consciente des acteurs dominants. En effet, comme les musulmans sont étrangers aux tensions implicites qui structurent le champ de la pensée sociologique, ils ne peuvent en intégrer les institutions, et contribuer à la production symbolique du réel.

[lien avec ma vocation : pressentant ma capacité à dépasser cette tension omniprésente, je pensais sincèrement opérer une révolution scientifique. Et j’ai vraiment fait cette expérience d’être éjecté tacitement du milieu universitaire, faute d’interlocuteur constructif - mais de manière même inconsciente - alors qu’on me décernait les honneurs pour ma démarche (Prix Michel Seurat)]

Dans la question des rapports entre islam et sciences sociales, on ne peut donc se contenter d’une vision irénique, où les sciences sociales viendraient « informer » la conduite des affaires de la communauté. Il faut construire l’autonomie d’un champ musulman de pensée sociologique, sur le modèle qu’énonçait Bourdieu pour la sociologie elle-même, notamment dans Science de la Science et Réflexivité.12 Un champ musulman, parce que seule la théologie peut fournir les armes de cette autonomie, et parce qu’une inscription consciente dans les données théologiques ouvre la voie au dialogue avec les autres traditions européennes.

Retour sommaire

1Au-delà des seuls musulmans, cette vision s’inscrit en fait dans une pathologie dualiste de l’épistémologie (Gregory Bateson), à laquelle succombent la plupart des entreprises intellectuelles modernes : la tendance à expliquer les choses par la rencontre entre deux sphères de réalité autonomes.

2Je fais allusion au livre des chercheurs Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed, qui avait pour titre : Islamophobie : comment les élites françaises fabriquent le ‘problème musulman’. L’ouvrage est paru en 2013, dans un contre-temps particulièrement tragique avec l’actualité des Printemps Arabes, et des évènements qui commençaient déjà à frapper la France.

3Pour montrer combien mon travail anticipait ce soulèvement, je reproduis ici le dernier paragraphe d’un texte de décembre 2010 sur « Taez et les ambiguïtés de la modernité yéménite » : « L'aspect positif des dissensions qui menacent aujourd'hui l'unité Yéménite, est qu'elles obligent les Taezzis à penser à nouveaux frais leur place et leur responsabilité dans la situation actuelle. À Aden depuis quelques années, les Taezzis sont inquiétés au même titre que les autres Yéménites du Nord. Quant au contentieux avec la rébellion Houthiste, les Taezzis se rendent bien compte qu'ils ne peuvent qu'être solidaire du régime de Sanaa. Taez aime trop se contempler dans le miroir trompeur de l'étranger ou de la pensée cartésienne ; ces différents conflits la contraignent à redescendre parmi ses semblables yéménites. Cette nation pourra difficilement surmonter l'impasse actuelle sans que la région de Taez ne reconstruise son image fragmentée, identité mise à mal par son rôle à part dans la constitution de l'État yéménite.»

4Pierre Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique ; précédé de trois études d’ethnologie kabyle. (Paris: Seuil 2000, 1972), 229.

5J’ajoute que ma directrice de thèse Jocelyne Dakhlia venait en 2005 de publier L'empire des passions. L'arbitraire politique en Islam, un ouvrage d’anthropologie historique contenant une hypothèse forte sur l’origine de l’autoritarisme arabe en lien avec la problématique de « l’homoérotisme » dans l’Islam et l’Europe médiévaux - hypothèse à laquelle j’entendais apporter un contre-point ethnographique. Ma conversion à l’islam a compliqué cette collaboration, mais je reste toujours redevable à cette perspective d’anthropologie historique.

6En cela, ils diffèrent peut-être des « passions nationalistes » du XIXème siècle européen, portées par une jeunesse lettrée qui restait minoritaire, le développement économique ayant été beaucoup plus lent comparativement.

7À titre d’exemple, je pourrais proposer ma lecture de la troisième page du Coran – à partir du verset 8 : « D’aucuns parmi les hommes disent : "Nous croyons en Dieu et au Jour dernier", alors qu’ils ne sont pas croyants… » - comment le fait d’avoir à assumer les ambiguïtés de ma conversion « sur le terrain » m’a conduit à élaborer une réflexion assez générale sur la condition de chercheur en sciences sociales musulman.

8C’est exactement un basculement de ce type qui s’est produit au Yémen en 2011.

9Il y a là une alternative à la problématique de l’islamophobie et de la « racialisation », dont la mode nous est venue des campus anglo-saxons (mais qui n’explique rien, à mon avis…).

10P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité (Paris: Raisons d’agir, 2001).

11C. Grignon et J.-C. Passeron, Le savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature (Paris: Gallimard, 1989).

12P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité (Paris: Raisons d’agir, 2001).