« Les
connards
qui nous gouvernent » : texte qui m’est parvenu
malgré mes bouchons dans les oreilles (on m’a forwardé un mail de
la liste…). Rédigé par Frédéric Lordon, économiste, philosophe et…
chercheur en sciences sociales au CNRS. Je veux écrire une
réponse : « Du chercheur en sciences sociales comme
connard ». J’ai pris la décision hier soir, et j’ai commencé
à écrire ce matin. Il y a effectivement une lâcheté spécifique
chez le chercheur en sciences sociales français - une lâcheté
dont il faut rendre compte, c’est important dans la période
actuelle. Pour autant le texte sera écrit à la première personne.
C’est un texte qui vient de loin, qui va me prendre plusieurs
jours.
Il
n’y a aucune urgence, ça je l’ai compris encore mieux aujourd’hui.
L’issue que j’anticipe depuis longtemps est déjà actée en
réalité : la réconciliation autoritaire des classes
dirigeantes et des classes populaires, par dessus le nombril des
classes moyennes diplômées. Le confinement a précisément cette
fonction, d’endormir doucement cette soi-disant « conscience
critique ». Les commentateurs auront beau s’agiter dans tous
les sens, comme des petits chatons dans un sac, la décision est
prise. Et c’est rigolo rétrospectivement à quel point je
l’anticipais, dans mon psychodrame avec l’Alternative Sétoise. Il
y a une vraie continuité dans mon journal, avant et après le
confinement. Je réorganise ma page d’accueil du coup,
chronologiquement.
* *
*
On
m’a transmis cette vidéo d’un certain Jean-Marc Jancovici, un
ingénieur polytechnicien qui fait des conférences sur le
changement climatique et la transition vers une énergie
décarbonée. C’est quelqu’un qui connaît très bien la dépendance de
l’économie au pétrole, et qui nous propose une contextualisation
très intéressante de la crise du coronavirus par rapport au
fonctionnement de l’économie mondiale, dans une perspective
systémique, avec ce que ça implique comme raisonnements pour nos
dirigeants.
C’est
beaucoup moins intéressant ensuite, quand il commence à ressortir
ses plans sur la comète, de comment on va engager la transition
décarbonée, à quel moment on a une chance d’être entendus… Il y a
là cette déformation typique des classes moyennes diplômées, qui
prêchent leur bonne parole matérialiste et éclairée, attendant le
jour où les dirigeants commenceront enfin à les écouter, et les
classes populaires à voter pour eux (clin d’oeil aux camarades de
l’Alternative Sétoise…). Déformation qui nous amène, presque
mécaniquement, à anticiper cette fameuse révolte qui devrait
nécessairement advenir, afin que nous les observateurs puissions
avoir raison… Bref, ce commentateur commet la même erreur que moi.
C’est là l’ethnocentrisme des classes moyennes diplômées. Mais moi
j’ai au moins l’intelligence de me tourner en dérision, de me
mettre en scène dans le sac, avec les chatons de l’Alternative
Sétoise.
Si
les chatons doivent finalement percer le sac avec leurs
griffes - et si nous devons un jour devenir des lions -
la seule manière est d’opérer une conversion intellectuelle, de
l’écologie classique vers l’écologie de l’esprit. Comme dirait Bateson,
il faut rompre avec l’illusion que le problème se situe
« là-dehors ». Chez M. Jancovici, on en est encore loin
(vers 52’) :
« [Pour
le
coronavirus, le danger est clairement identifié mais] en ce
qui concerne le climat, il faut faire naître le sentiment
d’urgence, et il faut le faire naître pour quelque chose qui
ne se voit pas encore suffisamment pour que ça inquiète les
gens. Ça a commencé à se voir beaucoup plus quand même (…)
mais tout ça n’est toujours pas considéré comme un risque
vital de court terme, exactement comme le coronavirus. Donc
l’un des enjeux de la période actuelle, c’est d’arriver à
faire comprendre qu’on est aussi face à l’urgence… »
Toujours
la
même rengaine, où les diplômés s’imaginent qu’ils ont le monopole
de la conscience holistique du monde (quand cette conscience n’est
pas attribuée à la seule Greta Thunberg…). Car pour eux,
l’écologie représente le seul discours encore concevable pour
prendre en charge un rapport holistique au monde, au temps, à
l’incertitude, à la mort… Toutes ces années, les classes diplômées
occidentales ont espéré sauver le monde en universalisant leur
propre anxiété… Ils ne se rendent pas compte que ces prémisses
logiques font partie du problème, voire qu’elles sont le
problème (voir « Où
en
sommes nous » d’Emmanuel Todd, pour une mise en
évidence statistique de la stratification éducative et de ses
conséquences mondiales).
À
l’évidence, l’épreuve du Coronavirus va rebattre un peu les
cartes, contraindre les gens à se « frotter » un peu les
uns aux autres - métaphysiquement s’entend… Et cette
diversité, qu’il y a peu encore on ne supportait plus, qu’on
considérait comme « d’intolérables entorses à la
laïcité », ce sera du petit lait pour les chatons…