Les griffes des chatons

J+7 (22 mars 2020)

« Les connards qui nous gouvernent » : texte qui m’est parvenu malgré mes bouchons dans les oreilles (on m’a forwardé un mail de la liste…). Rédigé par Frédéric Lordon, économiste, philosophe et… chercheur en sciences sociales au CNRS. Je veux écrire une réponse : « Du chercheur en sciences sociales comme connard ». J’ai pris la décision hier soir, et j’ai commencé à écrire ce matin. Il y a effectivement une lâcheté spécifique chez le chercheur en sciences sociales français - une lâcheté dont il faut rendre compte, c’est important dans la période actuelle. Pour autant le texte sera écrit à la première personne. C’est un texte qui vient de loin, qui va me prendre plusieurs jours.

Il n’y a aucune urgence, ça je l’ai compris encore mieux aujourd’hui. L’issue que j’anticipe depuis longtemps est déjà actée en réalité : la réconciliation autoritaire des classes dirigeantes et des classes populaires, par dessus le nombril des classes moyennes diplômées. Le confinement a précisément cette fonction, d’endormir doucement cette soi-disant « conscience critique ». Les commentateurs auront beau s’agiter dans tous les sens, comme des petits chatons dans un sac, la décision est prise. Et c’est rigolo rétrospectivement à quel point je l’anticipais, dans mon psychodrame avec l’Alternative Sétoise. Il y a une vraie continuité dans mon journal, avant et après le confinement. Je réorganise ma page d’accueil du coup, chronologiquement.

* * *


On m’a transmis cette vidéo d’un certain Jean-Marc Jancovici, un ingénieur polytechnicien qui fait des conférences sur le changement climatique et la transition vers une énergie décarbonée. C’est quelqu’un qui connaît très bien la dépendance de l’économie au pétrole, et qui nous propose une contextualisation très intéressante de la crise du coronavirus par rapport au fonctionnement de l’économie mondiale, dans une perspective systémique, avec ce que ça implique comme raisonnements pour nos dirigeants.

C’est beaucoup moins intéressant ensuite, quand il commence à ressortir ses plans sur la comète, de comment on va engager la transition décarbonée, à quel moment on a une chance d’être entendus… Il y a là cette déformation typique des classes moyennes diplômées, qui prêchent leur bonne parole matérialiste et éclairée, attendant le jour où les dirigeants commenceront enfin à les écouter, et les classes populaires à voter pour eux (clin d’oeil aux camarades de l’Alternative Sétoise…). Déformation qui nous amène, presque mécaniquement, à anticiper cette fameuse révolte qui devrait nécessairement advenir, afin que nous les observateurs puissions avoir raison… Bref, ce commentateur commet la même erreur que moi. C’est là l’ethnocentrisme des classes moyennes diplômées. Mais moi j’ai au moins l’intelligence de me tourner en dérision, de me mettre en scène dans le sac, avec les chatons de l’Alternative Sétoise.

Si les chatons doivent finalement percer le sac avec leurs griffes - et si nous devons un jour devenir des lions - la seule manière est d’opérer une conversion intellectuelle, de l’écologie classique vers l’écologie de l’esprit. Comme dirait Bateson, il faut rompre avec l’illusion que le problème se situe « là-dehors ». Chez M. Jancovici, on en est encore loin (vers 52’) :

« [Pour le coronavirus, le danger est clairement identifié mais] en ce qui concerne le climat, il faut faire naître le sentiment d’urgence, et il faut le faire naître pour quelque chose qui ne se voit pas encore suffisamment pour que ça inquiète les gens. Ça a commencé à se voir beaucoup plus quand même (…) mais tout ça n’est toujours pas considéré comme un risque vital de court terme, exactement comme le coronavirus. Donc l’un des enjeux de la période actuelle, c’est d’arriver à faire comprendre qu’on est aussi face à l’urgence… »

Toujours la même rengaine, où les diplômés s’imaginent qu’ils ont le monopole de la conscience holistique du monde (quand cette conscience n’est pas attribuée à la seule Greta Thunberg…). Car pour eux, l’écologie représente le seul discours encore concevable pour prendre en charge un rapport holistique au monde, au temps, à l’incertitude, à la mort… Toutes ces années, les classes diplômées occidentales ont espéré sauver le monde en universalisant leur propre anxiété… Ils ne se rendent pas compte que ces prémisses logiques font partie du problème, voire qu’elles sont le problème (voir « Où en sommes nous » d’Emmanuel Todd, pour une mise en évidence statistique de la stratification éducative et de ses conséquences mondiales).

À l’évidence, l’épreuve du Coronavirus va rebattre un peu les cartes, contraindre les gens à se « frotter » un peu les uns aux autres - métaphysiquement s’entend… Et cette diversité, qu’il y a peu encore on ne supportait plus, qu’on considérait comme « d’intolérables entorses à la laïcité », ce sera du petit lait pour les chatons…


Retour accueil confinement