Chantier « Scène Primitive » :
Note de mise en ligne

Sète, le 29 octobre 2018.

Peu importe que vous soyez jeune ou vieux, homme ou femme, musulman ou sociologue, ou même tout cela à la fois. Il m’est impossible de demander à un seul lecteur d’assumer la relecture de cette histoire. C’est une difficulté que je rencontre depuis de nombreuses années, avec laquelle je me suis toujours débattu. Aucun lecteur ne pourra jamais me dire : « C’est bon ». Aucun ne me dira jamais : « Je vois ce que tu veux dire ». Pourtant je sais aussi que moi, je ne renoncerai jamais. Je suis capable de passer encore de très nombreuses années seul dans mon appartement, à rendre cette histoire toujours plus intelligible. Alors j’ai juste décidé de mettre ces textes en ligne et de les y travailler, sur ma page personnelle. C’est la seule manière de ne pas m’adresser à un public particulier. C’est la seule manière d’être à moi-même mon propre relecteur.

Beaucoup d’autres textes sont déjà en ligne sur la plateforme Academia.edu, une sorte de réseau social pour chercheurs du monde académique, normalement conçu pour rendre disponible des publications de revues scientifiques, mais aussi des mémoires ou des communications orales - voire des work in progress : en décembre dernier, j’en ai sorti toute une cargaison, des textes que je faisais lire à droite à gauche depuis des années. Ali Saleh était mort, je pensais qu’il était temps qu’on m’écoute, quel que soit l’état d’aboutissement de ces textes. Apparemment ce n’était pas encore assez clair.

Là cependant, quelque chose a changé. Cette « scène primitive » est un projet auquel je travaille seulement depuis la fin de l’été. Et là je n’écris plus à personne en particulier. J’écris à Nabil, j’écris à Ziad : des gens qui ont disparu, que je n’ai jamais cessé d’espérer ramener parmi nous, que je n’ai jamais cessé d’ensevelir sous des mots inutiles. Aujourd’hui je leur parle directement, comme s’ils pouvaient comprendre. Je n’attends plus qu’un traducteur traduise, qu’un croyant me soutienne, qu’un sociologue comprenne ou qu’on dépêche un porte-avion. Pour effacer le tort que j’ai fait à ces gens, en les impliquant de force dans les intrigues du langage, je ne sais si mes mots seront jamais suffisants. Je ne sais si le World Wide Web est une cathédrale, une "matrix" ou autre chose, mais j’écris maintenant sans arrière pensée : cette langue est ma langue, et je parle. Si Dieu le veut, ces mots leur parviendront.

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