La Nature et la Pensée
est le dernier ouvrage achevé de Gregory Bateson (1904-1980) et il
représente à ses yeux son legs théorique. Il a été traduit en français
et publié aux
éditions du Seuil en 1984. C'est un livre
d'épistémologie pour tous, inclassable parce qu'il transcende
l'ensemble des frontières disciplinaires en vigueur dans les sciences
occidentales. La bibliothèque municipale d'Antony en avait
un, classé au rayon « jardinage, espaces verts,
écologie »... et d'ailleurs l'exemplaire s'est évanoui dans la
nature.
La Nature et la
Pensée est aujourd'hui indisponible et aucune
republication n'est en vue : allez voir sur le
site des
éditions du Seuil, le livre n'existe pas. Pourtant les deux
tomes du recueil d'articles
Vers une Ecologie de l'Esprit
ont fait l'objet récemment d'une
réédition, et se vendent manifestement comme des petits pains. Or il y
a là quelque chose de tout à fait scandaleux intellectuellement. Tout
se passe comme si les différentes disciplines que Bateson a traversé de
son vivant (anthropologie, psychiatrie, ethologie, logique, biologie,
écologie...) et auxquelles il a payé son dû de courbettes et d'excuses
préliminaires, avaient conclu ensemble un pacte mafieux pour maintenir
écartelée dans l'au-delà une œuvre qui a pourtant proclamé son unité
sous-jacente. Les disciplines des sciences de l'homme ont en effet cela
en commun
d'être friandes d'ancêtres que l'on peut vénérer pieusement et dont on
peut exhiber les ouvrages de manière ostentatoire. Mais
la Nature et la
Pensée est trop dérangeant, trop exigeant surtout, pour
alimenter cette
belle parade académique. Ainsi de Bateson, les anthropologues
n'exhibent peu ou prou que
Naven,
ouvrage écrit en 1936 par un étudiant
turbulent de 32 ans qui se débat avec l'anthropologie de son époque. De
l'aveu même de son auteur,
Naven
a aujourd'hui sa place dans une
bibliothèque d'histoire des sciences, mais les grilles d'interprétation
qu'il propose sont mal conçues et obsolètes. C'est un livre rebutant
(
attaquez vous au
système de parenté iatmul dès la page 10...) et confus
(
… pour découvrir à la
page 290 que le propos était ailleurs!). Tant
mieux! On peut dès lors le brandir sans crainte en prenant des
airs pénétrés... Avec ces usages de Bateson, c'est la pertinence et
l'acuité contemporaine d'une pensée qui se trouvent niées, et ce en
dépit
de son urgence absolue - je renvoie à l'appendice du livre,
« cette époque qui ne tourne plus rond ».
Après trois rappels de la bibliothèque de l'ENS, j'ai photographié
intégralement
le livre pour mon usage personnel. Finalement j'en profite pour le
mettre en ligne. Vous pouvez consulter
l'introduction pour voir si vous accrochez, avant de télécharger
éventuellement l'intégralité du livre photographié dans un fichier pdf.