Vincent Planel
Enseignant et anthropologue indépendant


Caricature de Plantu, parue le 15 janvier 2013 dans le journal Le Monde.
Le Monde, 15 janvier 2013 : entrée en guerre de la France au Mali.
Cette caricature illustre (malgré elle) le défi posé à l'apprentissage par les guerres de notre époque.


Formé initialement en physique (1998-2002), ancien élève de l'École Normale Supérieure (2000-2005), je me suis réorienté vers les sciences sociales suite aux attentats du 11 septembre 2001. J’ai également été, dans les premières années de ma thèse (2005-2008), moniteur et allocataire de recherche en anthropologie à l'Université Aix-Marseille.

De 2003 à 2010, j'ai vécu au Yémen à peu près trois mois par an, dans la troisième ville du pays, Taez. Capitale culturelle du Yémen Républicain, profondément investie dans l’éducation moderne, Taez est marquée par sa position intermédiaire entre les tribus reculées des Hauts Plateaux et l’ancienne colonie britannique d’Aden (deuxième port mondial après Rotterdam dans les années 1950). À travers mes enquêtes successives, j'ai tenté d'acquérir une intuition de l'histoire sociale locale fondée sur l'expérience des interactions de la sociabilité masculine urbaine, et sur l'analyse réflexive des rapports ambigus entre les Yéménites et l'Étranger.

Synopsis de mon enquête au Yémen
(mars 2018)

En 2003 mon premier terrain de trois mois, dans le quartier central et populaire de Hawdh al-Ashraf, fut marqué par un sorte de psychodrame collectif : un emballement aux accents révolutionnaires, qui mit à l’épreuve ma relation avec mon hôte Ziad, jeune diplômé charismatique, qui le premier s’était montré solidaire de ma démarche sur le fond. Marginalisé par cette fraternité nouvelle et insoupçonnée, qui s’affirmait autour de moi sans que j'y sois pour grand chose, il choisit finalement de se retirer à la campagne, laissant à son frère aîné le soin de mater l’enthousiasme collectif. Nabil était lui-même une figure charismatique locale, cooptée par le Régime depuis plusieurs années en tant que responsable de l’Inspection des souks du Centre-Ville. De cette situation inextricable, il ne sut s’extirper que par une tentative de viol - fortement théâtralisée - à laquelle j’échappais « de justesse ». Et c’est finalement Waddah, leur cousin du côté maternel dans la capitale Sanaa, qui se chargea de « m’expliquer » autant qu’il le put les dessous de cette affaire, durant les trois dernières semaines de mon séjour.

Cet emballement, apparemment inexplicable, avait été suscité au fond par le caractère résolu de ma démarche d’immersion, dont l’aspect irréaliste m’était ainsi signifié, tacitement, par la société toute entière. Les Yéménites ne réalisaient cependant pas à quel point cette expérience, de mon point de vue, constituerait une invitation presque irrésistible à persévérer. Plus qu’un véritable traumatisme, cette intrigue était pour moi une forme d’initiation aux faux-semblants des perceptions étrangères, laissant entrevoir une complicité collective sous-jacente, fortement teintée d’homoérotisme. Sans jamais faire de ces ultimes mésaventures un « matériau » pour mon enquête, j’ai appris progressivement à les assumer les années suivantes, sur le terrain-même, en suivant un fil d’Ariane où ma honte se confondait avec ma dignité.

Dorénavant, mon destin était lié à celui de cette fratrie élargie, qui portait la responsabilité de mon initiation aux yeux de la société environnante. Mais certains présupposés idéologiques m’empêchaient encore de le comprendre : Waddah incarnait à mes yeux l’ignorance de la jeunesse yéménite, et Nabil une figure du Mal associée au Régime, tandis que Ziad demeurait mon confident intellectuel. Au fil de mes séjours successifs à Taez, je vis s’abattre sur cette famille une succession de malheurs, qui se solda par la mort de Nabil dans un accident de voiture, en janvier 2007, suivi de peu par l’internement de Ziad en clinique psychiatrique.

Quatre ans après mon premier séjour et au terme de deux années de thèse, mon enquête connut donc un tournant, qui ouvrit la voie à un désengagement progressif de mon terrain yéménite en concertation avec Yazid, le benjamin de cette fratrie. Mon travail s’orientait dorénavant vers un dialogue avec l’islam, enraciné dans la pensée systémique de Gregory Bateson : une réflexion sur l’éthique de l’engagement ethnographique, et de la pratique des sciences sociales plus généralement, au regard de certaines ambiguïtés structurelles des intermédiaires culturels. En 2009, j'ai reçu l’encouragement dans cette démarche du Prix Michel Seurat du CNRS. Mais à vrai dire, ce projet me place au carrefour de contradictions collectives, qui sont aussi les miennes, et qui jusqu’à présent m’ont condamné à l’impuissance malgré les tragédies.

Le 17 novembre 2008, veille de mon retour en France cette année-là, je suis sorti au Hawdh al-Ashraf avec une caméra vidéo, pour prendre des souvenirs de ma vie à Taez. On m’y entend essentiellement dire des vulgarités enjouées, pour conjurer la présence de la caméra, en invitant les Yéménites à faire de même. Dix ans plus tard, tous ces souvenirs me restent sur les bras, faute d’avoir jamais pu m’expliquer sur le fond. Alors j’ai monté ce film, au mois de janvier dernier (2018), avec des panneaux en arabe (et quelques fautes d’orthographe). Manière de restituer ces images aux Yéménites : ma pudeur n’a plus aucun sens aujourd’hui.

Mes publications et communications académiques restent disponibles sur Academia.edu.

Sur mon blog Mediapart, depuis 2009, certaines réactions à chaud à l’actualité.

Installé à Sète depuis février 2014, je travaille comme professeur de mathématiques par intermittence, tout en poursuivant mes recherches personnelles sur l'islam, l'histoire des sciences et les phénomènes d'apprentissage.

Diplômé en 2017 de la formation « Religions & Société Démocratique » de la Faculté de Droit de Montpellier.


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