Intuition

Rédigé le 5 décembre 2018. Mis en ligne le 7 février 2019

 

Hier soir j’ai regardé une émission d’Arrêt sur images, avec Emmanuel Todd (et Alexis Spire). Je l’ai écouté aussi sur France Q, sur France 2J’ai eu un déclic, sur ce qu’Emmanuel Todd n’arrive pas à dire, ce qu’il n’arrive pas à exprimer. Je vais essayer de résumer ici, et j’apporterais ensuite d’autres vidéos à l’appui de ce que j’avance. Mais en gros, je l’ai dit dans le titre :

 

« Macron va faire à la France ce que la Communauté Internationale a fait au Yémen »

Je veux dire par là que, ces derniers jours, j’ai l’impression de revivre l’expérience pendant les années 2011, 2012, 2013, dans cette phase d’enlisement de la Révolution, où je lisais ce que les chercheurs étrangers écrivaient sur le Yémen, et où j’avais l’impression que ces spécialistes étrangers, qui étaient tous bien intentionnés, étaient en train creuser la tombe d’un pays auquel ils avaient par ailleurs un attachement réel. Et encore, je voyais tout ça de loin, je ne voyais pas ce qui se tramait dans les institutions internationales, et dans les forums du « Dialogue National ».

J’ai l’impression ces jours-ci de vivre la même chose : de voir un mouvement qui focalise sur lui toute l’attention des observateurs, et qui en même temps se radicalise, qui échappe en fait à la bonne volonté des analystes les plus armés intellectuellement.

 

« Macron va faire à la France ce que la Communauté Internationale a fait au Yémen »

Et j’ajoute : exactement pour les mêmes raisons, à cause de l’inertie intellectuelle des élites diplômées, à la fois des commentateurs et des dirigeants occidentaux.

Je suis en train de sortir un scoop, là ! La plupart des gens ne savent pas que c’est la CI qui a détruit le Yémen. Les gens croient que les Yéménites étaient programmés pour se taper sur la figure, il y a des experts spécialisés à nous l’expliquer. En 2011, ils étaient déjà en train de spéculer : quand donc le Yémen allait-il tomber en guerre civile - ce qui n’est arrivé finalement qu’en 2015… Donc si la communauté internationale avait été moins stupide, ou plutôt, si les exilés Yéménites, les diplômés Yéménites, avaient su défendre la révolution de l’intérieur des pays occidentaux, et rappeler à l’ordre ces spécialistes… - mais on ne va pas faire de l’histoire-fiction.

 

« Macron va faire à la France ce que la Communauté Internationale a fait au Yémen »

Le point commun n’est absolument pas un parallèle entre la révolte des Gilets Jaunes et le Printemps Yéménites, ou même les Printemps Arabes en général. Le point commun, c’est plutôt certaines failles des sciences sociales, des failles épistémologiques qui sont structurelles, et qui sont à l’oeuvre à mon avis dans les deux situations.

C’est ce que j’essaierai de décrire dans une autre vidéo, en expliquant ce que ça implique comme perspective pour l’avenir. Mais d’abord ça pose une question : comment est-ce possible que mon pays se retrouve divisé par une faille d’une telle ampleur, qu’elle puisse me sembler comparable à la faille qui sépare la France d’un pays lointain, une société tribale comme le Yémen ? La réponse que je voudrais apporter, c’est la responsabilité des musulmans dans cette affaire, à travers le problème de la démission intellectuelle des musulmans diplômés.

Ça fait quand même une bonne dizaine d’années, voire plus, que l’autoritarisme de notre pays se repose sur l’alibi d’une menace terroriste. L’antiterrorisme comme technique de gouvernement. Mais on ne peut pas simplement considérer les musulmans comme des victimes de cette situation - comme ils font toujours à Mediapart. Cette situation implique aussi une responsabilité des musulmans, et notamment des musulmans diplômés, issus des quartiers populaires mais qui en sont sortis en termes de conditions économiques - et surtout ceux venus de l’autre rive pour leurs études supérieures. C’est une responsabilité qu’ils ont échoué à assumer jusqu’à présent.

Il y a en fait une sorte de complicité tacite entre l’autoritarisme et certains fonctionnements des musulmans. C’est une idée que je n’aurais pas exprimé il y a cinq ans, avant que je vienne vivre à Sète, mais j’ai  été témoin ces dernières années de choses qui sont absolument inacceptables de mon point de vue. Cette connivence tacite à l’égard de l’antiterrorisme comme technique de gouvernement, elle s’observe très bien localement.

Finalement, le mépris des élites intellectuelles pour les gilets jaunes a quelque chose à voir avec leur rapport à l’islam, et avec la relation incestueuse des sciences sociales avec les musulmans diplômés. Ça implique une responsabilité pour ces derniers, que j’aimerais contribuer peut-être à articuler.